BON TEST POUR LE Grand Est

Assez peu “Facebook”, je partage ici quelques impressions illustrées sur un périple de découverte dans le Grand Est, un voyage récent (on ne dira pas « frais » pour cause de  canicule).

Voici donc quelques vignettes sur des thèmes d’Alsace Lorraine.

METZ – COULEURS :  BLEU, OR

reflets-de-metz-1Metz, la belle dépoussiérée. L’ex-ville de garnison rénovée est une révélation pour la pierre dorée de sa cathédrale et de sa vieille ville. Le vert des bras ombragés de  la Moselle et des parcs. Bleu ? Les vitraux bien sûr, avec forte composante de rouges.Vitraux Metz

 

Bleu Klein au modèle vivant (centre Pompidou Metz)
Mais aussi, le Bleu Yves Klein. Le peintre niçois est exposé au superbe Centre Pompidou, qui fête ses dix ans cette année. Il avait « breveté » son International Klein Blue (IKB) basé sur le bleu outremer. Ici une modèle, nue, s’est roulée en bleu sur la toile pour créer ce drôle de Rorschach .

Tiens, curieuse symétrie, je porte à Metz une chemisette bleu indigo J’achète au musée le passionnant Livre des couleurs de l’historien Michel Pastoureau

L'homme au bleu flou
L’homme au bleu flou

Des visiteurs peu nombreux en masque bleu ciel réglementaire.

Non loin de Metz, vers Saint-Dié, encore de l’azur. C’est au loin la « Ligne Bleue des Vosges », une expression due au Lorrain laïc Jules Ferry pour désigner  les territoires cédés par la République aux Prussiens en 1870 (voir plus loin). Elle fut reprise par un autre Lorrain, Maurice Barrès, l’écrivain nationaliste de droite.

Au retour, NANCY, élégante capitale historique, intellectuelle, de la Lorraine de mes ancêtres, nous séduira moins que sa rivale (plus prospère), malgré le riche Musée des Beaux Arts, Place Stanislas. Classique, harmonieuse, mais trop minérale peut-être? Même si on respire dans le riche Parc de la Pépinière.

VOSGES, SOMBRES FORETS – VERTES PRAIRIES

De l’air pur enfin dans ces forêts profondes accueillantes à nos bâtons nordiques. Sombres malgré les tâches claires dans la masse des conifères et hêtres touchés par la sécheresse ou tués par des coléoptères “scolytes” . On goûte à la très riche chère des Macaires, les fermes auberges vosgiennes dans les prairies d’élevages aux vaches coquettes (munster, cochonnailles). Végans, s’abstenir. (Cf.  Jacky Durand dans Libération du 14, 15, 16 août).

Bain au lac de Gérardmer. Non sans mal, car c’est bondé, surtout de Français en ce week-end de 15 août très front populaire malgré la pandémie. Longemer tout proche est inaccessible. Foule à Gérardmer

Il semble incidemment  que le nom des Ballons ne vienne pas de leur forme arrondie mais d’un dieu du soleil celte, Bel, que les druides honoraient sur les sommets.

Du ballon d'Alsace
Depuis le ballon d’Alsace

Je replonge dans mon enfance auprès de mon cycliste de père (amateur) sur la spectaculaire route des Crêtes dominant l’Alsace: en égrenant les cols du Tour de France, col du Bonhomme, Ballon d’Alsace, Bussang, la Schlucht (« le gouffre », gare à la chute), etc. De simples cols de 1e ou 2e catégorie par rapport aux monstres des Alpes et Pyrénées, mais il faut quand même se les farcir !

LA GUERRE DES GUERRES

En dégringolant (en voiture climatisée !) la dite route, arrivons au Hartmannswillerkopf (HWK) – un nom imprononçable pour les francophones que les poilus renommèrent « le Vieil Armand ». Sur ces collines assez peu stratégiques eut lieu une des batailles les plus stupides de la Grande Guerre, mais ne le furent-elles pas presque toutes ?? Entre 1915 et 1916, au moins 15.000 soldats français et autant d’allemands trouvèrent la mort et trois fois plus de blessés. Or, ici le  HWK se trouve un des musées franco-allemands les plus réussis de la région – un Historial conjoint avec la Suisse voisine qui explique les origines, les conséquences désastreuses de 14-18, montre les conditions atroces des combats. Aujourd’hui, les tombes et la nécropole s’étalent paisiblement dans la forêt, jadis hachée par les bombes. (En écho pourtant, ma photo du soir est sombre, les drapeaux de France, Europe, Allemagne hésitent à flotter…):Mémorial franco-allemand du Grand Armand (HKW)

Plus loin, en Alsace, je verrai sans arrêt des références aux déchirements passés des annexions et retours de l’Alsace-Moselle (Lorraine) depuis 1870.  Le peintre et dessinateur Hansi (Jean-Jacques Waltz) précurseur de la « ligne claire » de Hergé et des Belges), a attaqué avec humour « les Schwobs, les Boches », mais le « malaise alsacien » dû à une francisation trop rigide a aussi existé.  Autre grand homme de Colmar, le sculpteur prolifique Auguste Bartholdi, père de la Statue de la Liberté de New York, avait lui aussi choisi la France. Il me révèle entre autres dans son beau musée, une  Petite alsacienne de 1883 mélancolique avec un bouquet de fleurs bleu blanc rouge.

La petite Alsacienne au bouquet tricolore (Bartholdi)
La petite Alsacienne au bouquet tricolore (Bartholdi)

Germanophone (et –phile), je ne pourrai m’empêcher de mieux ressentir, en voyant ensuite sur Arte des documentaires sur la guerre de 1870-71, cette humiliation nationale subie – par trois fois – face à des Allemands militaristes qui enfoncèrent les défenses des Français présomptueux et mal préparés (voir aussi les romans de Pierre Lemaître).

Aux Malgré Nous, enrôlés par les nazis
Aux Malgré Nous, enrôlés par les nazis

« ALSACE HEUREUSE », OISEAUX ET VINS

Descente dans la plaine d’Alsace pour plusieurs jours dans la région de Colmar. Après une certaine austérité vosgienne, je ressens dans l’hébergements et dans la rue un sentiment de prospérité et de confort tout germaniques :   Ce qu’expliquent le dynamisme agricole et industriel de la province, le maintien de traditions et le tourisme, les échanges avec les riches pays voisins. Comme en Lorraine d’ailleurs, circulent nombre de voitures immatriculées D, NL, L, BE, CH. Probablement moins de touristes que d’habitude certes – bien que les magnifiques villages de Kaysersberg, Eguisheim, et Riquewihr soient pleins de visiteurs mal masqués.

A Riquewihr, du monde sans masque

A Riquewihr, du monde sans masque

Mais l’inquiétude sur les suites du Covid 19 est grande chez les commerçants : « je suis désespérée, comment va-t-on maintenir les marchés de Noël ? » si courus en Alsace, se désole une marchande de souvenirs de la Petite Venise. Mêmes inquiétudes, selon la presse, à  Strasbourg, la splendide déjà visitée, où il ferait bon vivre.

Oiseaux donc. Pourquoi ce sous-titre ornithologique ?

D’abord, le mot Colmar vient de colombarium (colombier) en latin (mais attention, celui de « colombage » pour les bois apparents des maisons de plusieurs provinces viendrait de « colonne », mot déformé par les siècles.)

Peu audibles hélas, les oiseaux même dans les montagnes et dans les vignobles « empesticidés » (NB. Nous avons nos emplettes de vin blanc chez Odile Weber, qui fait un bon bio sur 4 ha!). Vignes à Kaysersberg

Il y a certes mes chères hirondelles joyeuses et insouciantes.

Et la cigogne mythique  (photos), niche toujours comme dans les gravures de Hansi, sur les toits et clochers. Mais, voilà qu’au restaurant Caveau d’Eguisheim (tarte flambée, jambonneau choucroute, tarte aux myrtilles, pinot blanc et riesling– oui, on ne se refuse rien !), le plaisant serveur s’appelle Abdel : ce jeune Marocain vient de Marrakech. Or là-bas, dans l’Atlas, c’est par centaines, par milliers, que les cigognes migrantes passent un hiver heureux ! On confirme, nous les y avions vues.

Après le Sud, elles reviennent. Europe, France, terres d’asile !!

La Catalogne depuis le balcon madrilène: “Es una locura, hombre” (une folie)

MADRID – Parti pour découvrir les merveilles de Madrid, Tolède, Ségovie et m’immerger dans la langue, j’ai pu observer le psychodrame de la riche Catalogne depuis mon balcon castillan.

“Une vraie folie” (“una locura”) que cette marche forcée et sans majorité réelle d’indépendantistes riches soi-disant victimes de répression alors qu’ils ont déjà leur langue et une très forte autonomie, assurent les médias espagnols et mes interlocuteurs..

Moi, j’en tiens pour la raison c’est-à-dire l’unité de l’Espagne, un Etat de droit, très européen, décentralisé et tellement plus moderne que dans mon souvenir (surtout une balade en Andalousie il y a une paille). Mais le gouvernement de Mariano Rajoy est certes maladroit et trop autoritaire, et son parti a eu le tort de limer, même symboliquement, l’autonomie catalane il y a quelques années.

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“Ingouvernable” ?  Ce graffiti près du forum Caixabank à Madrid. Un maillot patriotique: “Bien sûr je suis espagnol, tout simplement”

Résumons. Deux logiques sont à l’oeuvre. D’une part le légalisme rigide de Madrid, arc-bouté sur la constitution de 1978 qui prohibe la sécession. D’autant que la justice avait interdit le référendum du 1er octobre (NB. on écrit 1-0 ici et ce n’est pas un score Real – Barça  comme je l’avais d’abord cru !) – un référendum convoqué d’ailleurs sans l’opposition au parlement.

L’autre logique, celle de Carles Puigdemont, mettant en scène une vieille histoire de séparatisme et de vraie répression, repose sur le désir de souveraineté complète de la Catalogne. Une forme de passion “révolutionnaire” de gens aisés,  enflammée par des gauchistes + des bourgeois,  et qui anime en gros un habitant de la région sur deux. Des millions de gens certes mais sans doute pas la majorité. Les indépendantistes ont beau jeu d’exploiter les images désastreuses de la Guardia civil brutalisant les votants du 1-0 (parce que la police locale restait les bras croisés).

Si la mise sous tutelle et la suspension provisoires de l’autonomie  (article 155) étaient attendus, la décision d’une juge d’incarcérer les ex-dirigeants qui ne sont pas en fuite a jeté de l’huile sur le feu,  selon La Vanguardia de Barcelone. Ce journal respecté (centre-droit, hostile à l’indépendance), s’est inquiété avant les élections régionales du 21 décembre convoquées par Madrid d’un “un risque grave d’incendie” faute de dialogue. L’emprisonnement était “le pire de scénarios“.

Peut-on parler de “prisonniers politiques” ? D’anciens détenus dans les geôles franquistes s’en indignent. Amnesty international refuse le terme, mais demande la libération des dirigeants incarcérés.

Des scénarios et des films

Le pire de scénarios  ? Au centre culturel de  Ségovie, près de l’église romane de San Martin,  nous voyons par hasard (avec une poignée de personnes) le film de “Terre d’Espagne”, de Joris Ivens de 1937 avec un texte de Hemingway.  Il montre l’ultime résistance des forces républicaines autour de Madrid contre la rébellion fasciste, l’armée franquiste appuyée par l’aviation allemande et italienne.

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Datant du passé franquiste, cette caserne à Madrid

 

Les deux organisateurs, de gauche, m’expriment ensuite leur indignation: “aujourd’hui, ces gens qui se disent résistants se rebellent contre la démocratie”. Ils se font leur cinéma, mais un cinéma surréaliste à la Bunuel. Ils sont divisés politiquement, disent oui un jour, non un autre. Sans parler de la rocambolesque cavale de Puigdemont à Bruxelles.

Miguel le taxi, est encore plus outré: “Es una locura, une tentative de coup d’Etat. Ils ruinent la Catalogne avec le départ des entreprises” (NB : 2.200 départ des sièges sociaux hors de Barcelone et sa région en octobre, selon la Vanguardia).

On endoctrine les Catalans, s’étrangle encore Miguel, eprenant les attaques des médias espagnols contre la TV3 catalane très partisane. De fait, Reporters sans Frontières (RSF) a dénoncé avant le référendum un climat d’intimidation sur la presse locale et étrangère. Nombre de témoins décrivent aussi les avanies contre ceux qui ne parlent catalan ou la propagande dans les écoles. Et voilà que surgissent les hackers russes que l’UE accuse de semer la zizanie pro-séparatiste sur internet…

Bon, j’avoue avoir la chair de poule en écoutant Els Segadors, l’hymne national catalan, chanté en communion par des dizaines de milliers de gorges dans un stade de Barcelone.  https://youtu.be/ntjDJmFp04M

C’est beau certes, me rétorque l’ami François, bon connaisseur du pays, “mais des pancartes +llibertat+ à Barcelone, la ville la plus libre et relax d’Europe, c’est franchement ridicule. Ils ont réussi à créer une atmosphère cubaine où l’on se fait gaffe au bistrot avant de chuchoter qu’on est contre l’indépendance. Bravo !”

De l’autre côté la virulence nationaliste s’étale dans plusieurs médias madrilènes. Voir un échantillon ci-dessous.

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Le journal El Mundo ne peut pas sentir Puigdemont

Pourtant, je n’ai pas ressenti de tension particulière en ces jours très spéciaux. Au café on parlait tout autant du déplacement du Real Madrid à Gérone, la ville de Puigdemont (les modestes footballeurs catalans ont gagné 2-1 !)

Le journaliste et humoriste Jordi Evole, Catalan opposé à l’indépendance, a bien résumé les choses  :  Le gouvernement Rajoy ne sait pas se raconter, ni parler aux Catalans, il n’a pas su s’excuser de la brutalité policière. Les autonomistes se sont, quant à eux, monté le bourrichon avec leur propagande parlant d'”oppression”  alors que la Catalogne jouit d’énormément de droits, et ils ont décrété l’indépendance sans majorité. Avec ça, allez chercher le dialogue !

Problème de com’  pour l’Espagne moderne, encore trop perçue comme retardée et autoritaire

Le romancier Antonio Muñoz Molina estime à regrets que la crise actuelle renforce à l’étranger une image datant du franquisme (autoritarisme, pauvreté, isolation, etc.), même 40 ans après la transition démocratique et le miracle économique. Le journal El Pais (centre-gauche)  a ensuite consacré un dossier pour tenter d'”en finir avec les clichés sur une Espagne méconnue”. Les Espagnols souffriraient toujours d’un “curieux sentiment d’infériorité” et le royaume serait perçu, au mieux, comme un aimable pays de vacances, avec ses plages, le flamenco et la paella/ sangria…

Dans “Tolède, coeur de l’Espagne”, l’écrivain français Victor Crastre décrivait une Castille belle et poussiéreuse, une Espagne fière, certes européenne mais régie par les anciens principes du sang, de la sensualité et de la mort. C’était en 1957.

Les choses ont bien changé. La pauvreté a beaucoup reculé, mais elle est remontée à cause de la crise de 2008 et du chômage (cf. dernier para), le PIB moyen par habitant est de 24.000 euros par an contre 33.000 en France et 27.000 en Italie. L’Espagne, très décentralisée,  a réussi a surmonter le terrorisme des Basques de l’ETA, etc.

Oui, le métro marche bien, les routes et autoroutes sont neuves. Un sujet de fierté que ce TGV espagnol, l’AVE (Alta Velocidad), se présentant pour son 25e anniversaire comme “le meilleur du monde”. Il est en tout cas confortable et son réseau est le deuxième du monde après la Chine (mais aussi onéreux que le réseau français).

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Rame “canard” AVE de la compagnie Renfe

Les moeurs aussi ont bien changé. On le sait depuis la movida à la Almodovar. Jean-Baptiste, un jeune Lyonnais, vit heureux à Madrid, ville sûre, où les gays sont tranquilles. Le mariage homo a été légalisé dès 2005, plus tôt et aisément que chez nous malgré des protestations animées par les catholiques.  On voit incidemment à Madrid comme ailleurs en Occident, des campagnes contre l'”acoso“, le harcèlement sexuel des machistes locaux.

Parisiens, nous apprécions des rues sans papiers, la propreté des aseos (ces WC qu’on trouve partout), le civisme des Madrilènes, par exemple aux passages-piétons.

De la beauté hors des plages

Après toute cette politique, nous serons brefs sur le tourisme. Voyez les guides: le Prado immense, le centre Reina Sofia, le Thyssen  Bornemisza – c’est notre musée préféré, convivial, tous les grands peintres y sont représentés !

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Greco mit des lunettes au cardinal de l’Inquisition

Nous découvrons mieux l’incroyable richesse de la peinture espagnole – Greco, Velasquez  (mon choc affectif pour lui remonte à la superbe expo de 2000 au Grand Palais), Ribera, Goya, Miro, Dali, Picasso…

Après celle de Ségovie, la beauté de Tolède, la cité arabe et juive devenue catholique, la cité du Greco, subjugue.

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Les Stoullig tournant le dos à Tolède

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Rouge d’Espagne: reflet du miroir tolédan 

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Place de la cathédrale à Ségovie

Pilar, los gatos y los toros

Dans le quartier d’Atocha,  Pilar notre charmante amie colombienne polyglotte, a le caractère tranché. Elle s’agace d’un quasi “racisme” des Espagnols de souche contre ces innombrables Latino-Américains, qui font largement tourner le pays (comme les Européens à Londres avant le Brexit). Elle dénonce l’arrogance du pouvoir conservateur et la corruption politique (elle a raison), ces banques qui ont expulsé les propriétaires ruinés (elle a encore raison). Elle adore la créativité et la fantaisie des Catalans, d’où une indulgence (coupable, selon moi) envers les independantistas.

Son péché mignon ? Avec d’autres samaritaines, Pilar consacre ses soirées à nourrir les chats délaissés en bordure du parc du Buen Retiro. A leurs frais aussi, elles tentent de faire châtrer les matous piégés et ensuite relâchés.

(Quelque 140.000 chats et chiens sont abandonnés chaque année dans tout le pays. Le calvaire de lévriers laissés à l’agonie est souvent dénoncé. L’observatoire espagnol “Justice et défense animale” dénombre, en plus des corridas -désormais interdites en Catalogne-, 3.000 fêtes locales où des animaux sont  maltraités. La violence contre les animaux serait quand même en déclin).

Ici ces bêtes sont en compétition territoriale dans les fourrés avec les cabanes de jeunes squatters en fugue, les Okupas.

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Pilar y el gato

Précarité, malgré un mieux dans la crise

Une occasion de rappeler cette énorme ombre au tableau: le taux de chômage est certes en baisse en Espagne, en partie à cause  des petits boulots. Mais il demeurait à 17, 9 % en septembre et à environ 42 % pour les jeunes de moins de 25 ans !!

Au delà des indicateurs en progrès suite à longue austérité dans le social (dont une reforme du code du travail), la santé et à la baisse des salaires, El Pais souligne (fin octobre) le “risque de la précarité”. Car la reprise (tourisme, la construction, exportations) reste fragile.

Ce mal de vivre des classes moyennes et populaires, commun aux pays européens développés,  on le comprend aussi par la fiction : la romancière Alumudena Grandes me le fait sentir dans une récente fresque impressionniste Los besos en el pan (non traduit).

NB: Au fait, que veut dire la photo du haut ? C’est un moucharabieh du très moderne CaixaForum avec vue sur les jardins du Prado à Madrid

 Pour finir sur une note plus douce:

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Don Quichotte est partout. Une sculpture de massepain de 3 mètres à Tolède écrase la gourmande
Jean-Michel Stoullig (texte et photos)

My new Indian wedding


(Just the pitch in English, the rest in French: Where a joyous stylish wedding for teetotalers spread  over Southern India raises serious problems. Like violence against women, a well meaning but rushed monetary reform, harsh on poor peasants… and a ban on mass corridas.)

Où un mariage à épisodes en Inde du Sud -sans alcool, végétarien, mais bigarré, joyeux – conduit à de graves questions: violences contre les filles, réforme monétaire brutale, corridas à émeutes

NB En lisant ce blog vous pouvez déjà cliquer ici Concert traditionnel tamoul  et écouter un peu de musique du cru.

Les épousailles de Rebecca George, cousine par alliance, et d’Albert ont duré quatre jours en janvier entre Mumbai (Bombay) et la région de Chennai (Madras) à 1.100 km au sud.

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A rough map of India by JMS

Ce mariage réunit des familles aisées issues de l’élite chrétienne du Kerala (sud). Une minorité. Catholiques et surtout orthodoxes n’ont pas trop de complexes dans la masse hindoue (et musulmane) ni face aux chrétiens d’Occident car Saint Thomas, l’apôtre dubitatif, est censé avoir évangélisé le Sud dès la mort de Jésus Christ.

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Si  les mâles de la bourgeoisie indienne sont un peu tristounets dans leurs costumes sombres, la fameuse débauche de bijoux et saris multicolores se confirme : d’ailleurs la mariée chrysalide a effectué pas moins de six métamorphoses vestimentaires lors des différentes cérémonies.

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Enterrons sagement notre vie de jeune fille

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La mariée et la doyenne, Rachel, flying granny à 88 ans!

Dans ces familles éclairées, pas de dot. La loi l’interdit d’ailleurs, mais le fléau persiste largement. D’innombrables parents se ruinent pour marier leurs filles (voir plus bas): De l’argent, ou bien des voitures, un scooter, de l’or avant tout.
On est à cent lieues des mariages extravagants de super-riches, comme ceux des familles Ambani, Reddy (74 millions d’euros) ou Mittal (qui loua 12 Boeings pour marier sa fille dans un Versailles privatisé), de stars de Bollywood etc. Une députée du parti du Congrès (opposition) propose de limiter les dépenses fastueuses pour financer les mariages des plus pauvres (Le Monde 5/6 mars 2017).
Je songe bien sûr  à mon propre mariage il y a des lustres  dans le Lot avec Sheila, fille des Indes, chez Anne-Marie et Bertrand: des dizaines de femmes – les “bendukars” (expression en malayam pour désigner les parents par alliance, jusqu’au x ième degré…), mais aussi Maman, mes soeurs et amies au visage pâle –  s’étaient déployées en saris multicolores sur le petit village d’Escamps devant les éleveurs de brebis ébaubis.
Ici le mariage n’a pas été arrangé, comme c’est encore la règle quasi-générale en Inde, mais facilité par la modernité. Pendant que les deux soeurs Ria et Rebecca, poursuivaient leurs brillantes études puis carrière, la maman a fait des recherches sur internet (religion, famille, situation, etc.). Pré-sélection familiale donc, puis propositions aux filles qui ont eu le dernier mot…
L’heureux élu Albert, le dira d’ailleurs publiquement “thank you for having chosen me !”
Son nouveau beau-frère Joseph, me confie: “dans ce pays, vous devez appartenir à une communauté”, pour la religion, les liens familiaux, le soutien politique, etc.

Cérémonies: traditions culturelles, végétarisme et modernité 

Place au ballet de rencontres, prières, retrouvailles, fous rires et cancans, recettes de cuisine, repas nombreux, nuits trop courtes. A Bombay d’abord, veillée pour la famille de Rebecca, le lendemain, prières, mariage à l’église, puis un drôle de DJ de Goa qui met le feu. Enfin le grand dîner sur la terrasse d’un centre de conférence: les quelque 500 convives se ruent sur les mets de traiteur uniquement végétariens – des délices variés de tout le pays, ex. somosas, vegetable curries, dosas, apam, gulam jam, etc…. Pas d’alcool, mais soft drinks, lassis.
 Est-ce parce que l’Etat de Maharashtra, dominé par les nationalistes hindous, interdit l’alcool et le boeuf? “Non, me dit un organisateur du banquet, c’est plus sûr, et tout le monde est content, y compris les enfants”.

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Sur le coup de minuit la parentèle se retrouve au 11e étage d’une tour dans la cuisine de la belle-maman: il s’agit, selon une tradition kéralaise, de vérifier si l’époux a les moyens d’accueillir sa moitié et de lui faire chauffer le lait !
 La nuit suivante la noce se transporte par avions pour Chennai / Madras.
Puis de bon matin cap sur Camp Gloria, la belle campagne tropicale du père de la mariée “Thomaskuti” à Mahabalipuram. C’est presque le même tabac que pour la première noce végétarienne non-alcoolisée mais ici avec un peu de poulet. Chut, avec quelques “cousins”, je prendrai quand même des whiskies discrets et bienvenus le soir tombé…
Les familles hindoues de pêcheurs du coin sont venues féliciter Thomas et Molly, mère de Rebecca, qui aident une bonne école locale. Molly gronde gentiment les pêcheurs mâles qui ont laissé leurs femmes en coulisses. Celles-ci accourent illico. Musique traditionnelle tamoule avec shenai. Avant le clou jusqu’à minuit, la danse disco à la Bollywood, où s’illustre la mère de l’époux.
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https://www.youtube.com/watch?v=MAcOly95XL0

 

Du sexe des anges

La jolie soeur aînée Ria, 28 ans, architecte de haut vol dans le cabinet ayant réalisé le magnifique aéroport de Bombay avant de passer au management, est enceinte jusqu’au cou. Mais, vertu fort honorable, elle ignore le sexe du bébé ! Elle s’en fiche d’ailleurs: “I dont know, the screening is banned, we shall see”, dit-elle dans un sourire. (NB: tout va bien, rassurez-vous, Rachel Miriam, une belle fillette de 3,5 kg est née le 17 février)
Dans ce pays, l’échographie est en effet officiellement interdite bien que  largement pratiquée en soudoyant  des médecins.
Explication: en Inde comme en Chine (à elles deux, un tiers de la population mondiale) on préfère les fils car ils hériteront et s’occuperont des vieux parents. Chez les Indiens de surcroît les parents de la fille payent la dot. L’avortement après échographie conduit au “féminicide” avant ou après la naissance. En Inde il n’y avait plus que 914 baby girls pour 1000 baby boys en 2011. Dans l’enfance on accorde moins de soins aux gamines. Dès lors dans ces deux géants d’Asie (comme ailleurs au Pakistan ou en Arabie saoudite) des dizaines de millions d’hommes “excédentaires” ne trouvent plus à se marier.
 Ce déséquilibre des genres explique-t-il les viols spectaculaires ou les attouchements massifs du nouvel an à Bangalore (rappelant ceux de Cologne en 2016) qui font la une des journaux ?  Ou bien serait-ce le teasing permanent des  photos presque dénudées de femmes objets dans les journaux people, alors que la société indienne reste foncièrement puritaine ? Une  jeune journaliste (rencontrée à une escale d’Abou Dhabi) se dit écoeurée de son propre magazine de Bombay.
En tout cas,  une chose reste claire, la permanence millénaire du statut inférieur des femmes,  comme des castes, en dépit de gros progrès dans l’éducation.

 Sujet brûlant à la noce, une réforme monétaire bien intentionnée mais chaotique 

Décrétée abruptement en novembre dernier, avec une bureaucratie débordée, la “démonétisation”a désorganisé l’économie et gêné les particuliers – jusqu’au père du marié, pourtant banquier,  qui a eu du mal à réunir le cash pour financer la noce et qui manifeste de la compassion pour les victimes de la réforme.
Les deux plus grosses coupures, de 500 à 1000 roupies (environ 7 et 14 euros), ont été retirées du jour au lendemain, soit plus de 80% de la masse monétaire. Le but du gouvernement de Delhi est de réduire l’argent de la corruption et la fraude fiscale alors qu’une minorité d’Indiens payent l’impôt. A terme il s’agit encore de réduire l’économie souterraine et de passer à la carte bancaire pour tous.
Résultat immédiat, de longues queues pour échanger les anciens billets contre de nouveaux, des retraits en liquide limités, et une contraction de l’économie.
“Si les intentions sont bonnes à terme, cette digitalisation forcée va profiter d’abord à quelques compagnies. Dans l’immédiat, elle écrase des gens qui souffrent déjà. Certains vont mourir dans les longues files d’attente. Bien des paysans ne pourront acheter à temps leurs semences”, souligne un parent gardant l’anonymat. Et comment payer les ouvriers journaliers faute de cash ?
De quoi aggraver les trop nombreux suicides des agriculteurs endettés ou victimes de trop de mousson ou pas assez de pluies.
Or, note mon ami Ashok, le passage à la “monnaie plastique” est très prématuré pour les masses d’illettrés dans les campagnes, loin de des distributeurs bancaires, et habitués aux billets à l’effigie du mahatma Gandhi.  Pourtant l’inoxydable Narendra Modi, Premier ministre nationaliste hindou et moderniste, au pouvoir depuis deux ans, reste sans rival et populaire. A preuve la victoire écrasante de son parti BJP, annoncée le 11 mars dans l’Etat d’Uttar Pradesh (200 millions d’habitants).
Faisons quand même ce rappel spectaculaire, l’immense fédération indienne a réussi une révolution technologique en sept ans en dotant la quasi totalité des 1,3 milliard de personnes d’une carte biométrique universelle, dite “Aadhaar”, notamment pour distribuer les allocations sociales ! La justice a été saisie à propos de la protection des données personnelles.
 L’incroyable marche en avant d’un pays invivable
C’est à Mumbai/ Bombay que les contrastes auront été les plus marqués lors de mon court retour. Des heures de transports dans l’immense métropole où plus de 20 millions d’êtres vivent en hauteur ou dans des bidonvilles sur de longues vallées entre montagnes et océan. J’y retrouve les slums, la congestion irritante pour les bronches, le tintamarre des transports et des ruelles, la saleté, la puanteur des égouts. Mais aussi les effets du boom économique: plein de nouveaux gratte-ciels de bureaux et habitations, des centres commerciaux dernier cri, pléthore de ponts, un métro aérien, un superbe aéroport reprenant des architectures régionales, etc.
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Faute de place, des résidences en hauteur

Malgré la croissance continue en Inde (prévision en baisse à “seulement” +6,8 % en 2017), je songe aux écuries d’Augias. Car ce sera un travail d’Hercule que de sortir de centaines de millions de gens de la misère et de l’insalubrité malgré les freins d’une corruption généralisée, sans oublier la prégnance des inégalités de castes.
Christian G., Français “indolâtre” depuis près d’un demi-siècle, atteste des énormes progrès concernant le développement, les infrastructures. “Certes l’Inde est un pays dur pour tous, même pour les riches d’ailleurs” : Congestion, pollution, corruption. Mais quelle réserve de dynamisme, s’exclame-t-il !
Allez, on placera quand même un couplet pour rassurer le touriste potentiel effrayé de cette vaste Inde trop peuplée: on y trouvera pêle-mêle gentillesse générale, peu d’insécurité au final, incroyable variété et beauté, richesse des cultures, accès au calme des profondeurs (yoga, ayurveda, musique classique indienne)…

 Les convives s’éparpillent: “the world is their oyster” (le monde leur appartient)

Hyper-formés au pays et à l’étranger, ces chrétiens du Kerala tout comme l’élite hindoue, musulmane, parsie de la middle class émergente, bénéficient de l’atout du grand large anglophone. Gais noceurs, mais grands bosseurs dans le civil, ils repartiront qui à Toronto, qui chez Apple en Californie, à New York, en Australie ou à Lagos – comme traders, médecins, psychiatres, ingénieurs, commerçants. Sans oublier Londres, la grande banlieue du sous-continent du curry… Beaucoup aussi restent ou reviennent bosser en Inde, pays d’avenir.
Pour notre part nous irons découvrir la Birmanie (Myanmar), pauvre et si gracieuse – cf. la pagode de Shwedagong à Rangoon. (A suivre ?)

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Corrida au Tamil Nadu: quand les esprits s’échauffent

Plus tard, mon infatigable belle-mère, Rachel,  “the incredible flying granny”  qui sillonne la planète à 88 ans avec une joie de vivre positive, connaîtra quelque frayeur. Cette petite histoire témoigne d’ailleurs des aspects agités de la grande démocratie indienne !
Son train est en effet bloqué en rase campagne par une foule de manifestants incontrôlés au Tamil Nadu. Avec d’autres voyageurs inquiets, Oma/Rachel sera exfiltrée par la police grâce au téléphone portable et à de bonnes connexions: la foule protestait pour les “droits culturels” dans ce grand Etat du Sud, à savoir contre l’interdiction de courses de taureaux / zébus (bull-taming) où la bête affolée doit se faire renverser sans mise à mort par des milliers de jeunes, un peu comme la San Firmin de Pampelune.

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Le gouvernement fédéral indien le jugeant ce rodéo de masse trop cruel pour les animaux a fini par l’interdire en 2014. Cette tradition appelée “jallikattu” a été finalement rétablie devant les mutineries sur les droits culturels . Or, nous apprend la BBC en février, les hautes castes hindoues empêchent toujours les intouchables de participer…
  Jean-Michel Stoullig

Retour à Sifnos – une petite Grèce heureuse

Monastère de Chrissopigi à Sifnos

Pourquoi ce blog sur Sifnos (ou Siphnos) après d’innombrables textes sur la beauté des îles grecques? Parce que huit ans après, j’ai retrouvé équilibre, calme, beauté sur cette île civilisée des Cyclades, moins fréquentée que d’autres. Ici pas d’aéroport ni tourisme de masse.

Bleu, blanc, comme le drapeau grec: Une occasion de publier quelques  photos de ces maisons géométriques, dont la blancheur rehausse les encadrements turquoise, gris, rouges, etc. des portes et fenêtres,  les dômes cobalt des églises, les bleus céruléens des cieux et de la mer. Un ami m’assure qu’on ne peut rater ses photos en ces lieux  (même moi?),  tant lumière, couleurs, ombres sont garanties.

Mêmes impressions, plus brèves, à Milos. Spectaculaire voisine  en mer Egée, volcanique comme Santorin,  en forme d’atoll dont la caldeira est inondée par la mer et la passe gardée de rochers basaltiques. L’île (dont le petit musée abrite une réplique de la Vénus/ Aphrodite de Milo) est plus contrastée: le petit port de Klima où les pêcheurs rivalisent dans les couleurs vives de leurs hangars, la plage lunaire de laves de Sarakiniko, Adamas très prisée des Italiens.

Je saluerai ensuite ces Grecs paupérisés, plus généreux que les Français pour les réfugiés, qui affluent dans les îles du Dodécanèse, plus au Nord.

Mais d’abord le regard du visiteur en quête d’harmonie.

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Oliviers regardant le cratère de Milos, une odeur de Méditerranée…

Le journal The Guardian vante  ces jours-ci les plages, les sentiers de randonnée, la cuisine de la petite Sifnos (environ 70 km2, 2.500 indigènes). Mais, chut, pas trop de promo, il y a déjà assez d’Allemands, Français, Anglais et surtout Athéniens aisés…

Bordée de vignes, oliviers, amandiers, figuiers, bougainvillées, notre pension toute simple (Aggelos)  surplombe la petite capitale Apollonia, dont la rue piétonne “To steno” avec ses cafés et boutiques,  certaines branchées, s’anime le soir venu. La mi-journée ses ruelles sous le cagnard sont réservées aux chats et aux étrangers en baskets. Comme les paysans  et âniers recuits par le soleil, les commerçants respectent la sieste.dsc_0606

Les autres descendent à la plage,  dans les tavernes sous les tamaris: au choix la crique de Vathi, Chrissopigi et son église pèlerinage et Faros, ou Platis Gialos, Kamarès. Né en Provence aux plages estivales désormais quasi inaccessibles, j’assouvis mon besoin de nage dans la Grande bleue. Nous prenons le bus, assez cher (1,80 euros pour 5 à 8 km, comment font les Grecs?).

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La chapelle de la plage de Vathi

 

Me voici avec les amis Claude Régin, Misha et Mireille Lemaresquier.

Depuis une douzaine d’années Mireille et Claude, aux carrières bourlingueuses, ont fait de Sifnos un havre d’été. Ils aimantent d’autres amis  souvent (ex-) journalistes mais pas  seulement,  telles Anne et Françoise, Genevoises du CICR. Ils retrouvent sur place leurs vieilles connaissances (Niki, Apostolos, etc.) : Bises, Kalimera, Ya sas, efkharisto, thank you…

Excursion obligatoire à Kastro, une cité médiévale perchée au dessus de la mer. Là, Kostas y sert les mojitos les plus costauds à l’est d’Athènes. Ce vieux révolutionnaire grec est vraiment resté fidèle aux mythes de Cuba et de Castro qu’il n’a vu qu’une fois. Claude le nourrit en musique cubaine.

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A Kastro sous l’oeil du Che, Kostas prépare ses mojitos

 

 

 

 

Kostas, Claude, Jean-Michel après les mojitos
Kostas, Claude, Jean-Michel après les mojitos

 

 

Comme Misha et Oscar, son Yorkshire nain, qui connaissent tout le monde, les belles Hellènes brunes et blondes, les jolies étrangères, flânent le soir. On côtoie des VIP occasionnels – Emir Kusturica y a une maison depuis le film Le Pélican, Jude Law a été vu en famille quittant son yacht à Vathi, où Manuel Valls serait descendu il y a peu.

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Place centrale d’Appolonia, vide dans la journée

Incidemment ici tout parait propre et sûr, pas forcément le cas de la Méditerranée du sud et de l’ouest.

Religion et splendeur passée:

On compte 360 églises et chapelles à Sifnos, plus qu’ailleurs aux Cyclades. Une par jour donc, pour honorer les différents Agyos (dire ayos), les saints orthodoxes. Ils permettent les processions vers le sommet de Profitis Elias  (Prophète Elie), distribution de pains, gâteaux bénis. Autour du pope, la ferveur des fidèles semble réelle.

Mais la riche église orthodoxe, non séparée de l’Etat, reste largement exemptée de l’impôt malgré la crise.

De quoi alimenter de surprenants griefs et une nostalgie des temps anciens ?

“Les Romains ont plus respecté nos sites anciens, notre culture que les chrétiens byzantins”, me dit en tout cas Apostolos sous la treille de sa taverne. De fait une splendide série  de BBC 4 montre comment les Athéniens du 5e siècle avant J.C. inventèrent le théâtre et la démocratie, intrinsèquement liés, et comment, au delà des guerres et des empires les Romains nous ont gardé la culture et les auteurs classiques grecs.

Encore plus fort, ce que me dit en mauvais anglais Manolis Ventouris, un chaleureux trentenaire de Milos:  “nous les Grecs nous ne sommes pas chrétiens en réalité. On nous a forcé sous peine de mort. Je crois en une grande énergie suprême, comme dans la philosophie et de Platon et Aristote”.

Aristote parle encore à Athènes
Aristote parle encore à Athènes

Le lendemain je verrai ce dessin mural à Plaka,  sous l’Acropole d’Athènes: “Nous devons autant que possible nous rendre immortels, et tendre chacun de nos muscles pour vivre en conformité avec ce que nous avons de mieux”, signé Aristote avec son portrait en bleu ..

Gourmands de langues et de livres, dont le petit Assimil, Claude et moi prononçons volontiers les mots grecs comme des bonbons, avec l’accent tonique SVP (parakalo). Certes une fois déchiffrés la plupart resteront de l’hébreu (“that’s Greek to me”, dit-on en anglais). Mais quel plaisir à retrouver la source étymologique de centaines de termes de nos langues ouest-européennes ! Ils nous parlent d’arts, de médecine, de philo, de politique, etc.

Un T-shirt culturel vantant quelques uns de nos emprunts au grec
Un T-shirt culturel vantant certains de nos emprunts au grec

 

Vues sur la Grèce en “krisis”:

Dans la baie turquoise et bleu profond de Vathi,  un monstre marin me ramène à une autre réalité du monde. Plus dure.

Ce monstre, un super-yacht brun et gris de 50 mètres profilé comme un bateau de guerre, j’en fais le tour à la nage pour voir son nom (en espérant comme dans un film de James Bond qu’on ne va pas me tirer dessus!) C’est le “Drad” CBI Navi, un petit joujou de 30 millions de dollars, appartenant à l’armateur Giannis  Koustas qui affrète une soixantaine de porte-conteneurs autour du globe.

On sait que les milliardaires de l’immense flotte grecque – une fierté nationale – menacent de quitter le pays s’ils étaient soumis au fisc.

Pas pour eux l’austérité que l’Union européenne et le FMI ont imposé sans états d’âme à un Etat grec surendetté et incapable de recouvrer l’impôt.

Yannis, jeune serveur du restaurant de poissons “O Aryounos”, est fataliste, pessimiste. Pour cet étudiant en sciences politiques à Athènes, “il faudra des années à la Grèce et à l’Europe pour se refaire”: nos salaires minimums ont baissé (environ 700 euros mensuels) mais pas les prix; les retraites sont amputées mais pas la TVA à 23%, le chômage reste à 24% !  Avec la crise, les budgets de la santé et de l’éducation ont chuté.

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Victime de la crise au dessous de lAcropole

Comme lui , Manolis mon philosophe, ne croit plus dans le Premier ministre Alexis Tsipras ni dans une petite classe politique corruptible. Et il s’inquiète de l’afflux de réfugiés musulmans dans les îles du Nord, avec des fanatiques infiltrés perpétrant un jour des attentats dans un centre touristique.

Dans le port du Pirée on a fermé le centre d’accueil pour éviter qu’il ne soit squatté par les réfugiés. Pas de mendiants, mais un graffiti sur un mur devant un énorme bateau: “refugees welcome”.

Welcome really ? L’affaire est contrastée. A Athènes, les migrants sont concentrés dans de tristes conditions dans l’ancien aéroport. Mais au musée des arts des Cyclades à côté des merveilleuses figures stylisées d’il y a 4 à 5000 ans, une vitrine place de petites  amphores antiques ayant  recueilli les larmes des pleureuses et des grenades lacrymogènes jetées par la police “déshumanisée” de Macédoine à Idomeni en avril 2016 contre des réfugiés venant de Grèce pour leur interdire l’entrée. Cette république slave issue de la Yougoslavie est honnie par la Grèce qui revendique le patrimoine de la Macédoine d’Alexandre.

Plus de 10.000 réfugiés sont bloqués à Lesbos et sur les îles environnantes par la fermeture des frontières de l’UE. Près de 60.000 dans l’ensemble du pays.

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Musée des Cyclades  (Athènes): des lacrymogènes macédoniennes contre des réfugiés côtoient des réceptacles antiques pour pleureuses

Figure féminine des Cyclades
Figure féminine des Cyclades

Dans le centre j’en ai vus dans le quartier de Monastiraki, où les ruelles aux échoppes fermées par la crise et taguées jouxtent une artère aux riches magasins. Après les antiquités, des voyageurs grecs et étrangers festoient devant résiné, souvlaki au son du bouzouki

Certes à trois, quatre heures de bateau de la capitale mes belles Milos et Sifnos,  restent privilégiées, vivant bien du tourisme.

Sur le ferry Speedrunner IV, un couple de jeunes amoureux français en reviennent ravis: “les habitants sont accueillants. Même les rabatteurs grecs sont moins insistants qu’à Istanbul. Sifnos a tout pour elle”.

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Maisons de pêcheurs de Klima à Milos

 

 

 

Un flaros, cheminée des potiers de Sifnos
Un flaros, cheminée des potiers de Sifnos

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Les oies de Milos

JEAN-MICHEL STOULLIG

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Letter from London

Re: Brexit, 400 years & still alive, Arsen(al) Wenger, murder in the Turkish bath, hijab…

Dix jours de liberté à Londres.  Effervescence culturelle et économique, modernité architecturale, pelouses et plantes toujours – comme au superbe parc de Kew Gardens et son expo d’orchidées brésiliennes – et même révélations culinaires ont marqué les dernières retrouvailles avec notre métropole préférée à Sheila et moi (mise à part Vienne, certes plus modeste et plus guindée).
Sorry pour les clichés inévitables, mais j’avais envie pour une fois dans cette longue lettre de rendre hommage à Londres et aux Londoniens de toutes les couleurs. D’où vient ce sentiment de liberté ? Il remonte à mes quatre années humainement riches de jeune journaliste. Je respire bien ici dans la ville vaste et aérée:  m’asseoir tranquillos dans les parcs, pubs ou cafés, explorer les à vélo les vertes rues aux beaux jours, échapper au risque d’impatience agressive des Parisiens. Ici la punkette à la hure rouge et verte n’attire pas les regards, on s’attife comme bon vous chante. On se laisse passer dans les bus rouges toujours classiques mais désormais fréquents et informatisés. Sourires discrets dans les boutiques et les restaurants qui éclosent chaque mois. Les traditions demeurent mais tout semble moins figé, plus  dynamique, malgré les inégalités sociales, qu’en notre belle France.
La dame aux orchidées
La dame aux orchidées, Kew Gardens
A l’amie m’accusant d’être stipendié par l’Office de tourisme de Londres, je réponds que flâner dans Paris, en goûter l’inégalable beauté, n’empêche pas d’être curieux des différences et avantages de notre puissante et  cool voisine. Et à chaque retour, je les trouve plutôt sympas nos Parigos.
Si je traite plus bas des ravages sociaux dus à l’austérité et au libéralisme financier au Royaume-Uni, le sous-titre à rallonge marque  la profusion de mes expériences récentes.

= Cacher donc cette Europe qui nous est étrangère 

L’Eurostar arrive à St Pancras aux débuts de la campagne sur le référendum du 23 juin. Quitter une Union européenne (UE) caricaturée, y rester? Quels risques ? David Cameron a pris un pari dangereux face aux Eurosceptiques, notamment dans son parti conservateur. Les fissures éclatent au grand jour chez les Tories, et dans l’ensemble des médias de droite (des pires aux meilleurs).
Pour les opposants aux “diktats des eurocrates Bruxelles” qui nous privent de notre brillante souveraineté, “Boris” est un formidable champion. Excentrique, jovial, roublard, la touffe blonde en pétard, Boris Johnson est le maire sortant conservateur de la capitale. Il convoite le poste de Premier ministre, surtout si Cameron échoue. Boris prétend d’abord que les 27 du continent accepteraient de nouvelles concessions en cas de non, puis reconnaît que ce serait irréaliste.
Ce qui compte d’abord pour les Anglais, c’est le porte-monnaie, le budget. La croissance est meilleure qu’ailleurs (avec l’Allemagne), le chômage a baissé, on recrute, et on peut trouver des petits boulots (que lorgnent les migrants de Calais) même si les contrats précaires “zero hour” (sans heures et fixes,  ni garanties) sont intolérables.
On peut résumer ainsi les quatre mois de débats à venir sur le “Brexit” (sortie de la Grande-Bretagne de l’UE): a-t-on plus à gagner à rester ou bien à partir, avec le rêve de retrouver une pleine souveraineté déjà bien entamée ?
Le très réac et indigent Daily Express monte à la charge: l’Union européenne “cherche à détruire notre identité nationale par l’immigration de masse” avec “la complicité mensongère de notre élite politique”. Le Daily Mail estime que Tony Blair a fait venir des millions d’Européens de l’Est – c’était pas mal pour les Polonais au départ mais ils baissent nos salaires et trop, c’est trop. Accueillir des Syriens ? on n’en parle pas. Alors autant rapatrier les 8 milliards de livres (10,7 milliards d’euros) de contribution nette au budget britannique à l’UE  et échapper “à un super-Etat non démocratique” (Ndlr: l’UE en super-Etat non, mais peu démocratique c’est pas faux). Des eurocrates qui se mêlent de tout comme de nous imposer des bouilloires et grille-pains plus économes mais contraires à notre génie anglais du thé (entre temps la Commission a sagement retiré cette idée avant le vote…). Plus sérieusement, les Anglais n’aiment pas la tutelle des Cours européennes et viennent de déclencher une course dangereuse au moins-disant fiscal dans l’UE.
Fort de quelques concessions de l’UE, le Premier ministre joue le maintien, contre “le saut dans l’inconnu”, pour que Londres conserve son plein accès au marché commun et un droit de regard, au lieu de rester à l’écart. En ayant en sorte le beurre et l’argent du beurre. Rappelons que la Grande-Bretagne, qui a empêché des progrès politiques dans l’UE, s’est déjà mise à l’écart de l’euro et de Schengen. La City et les grandes entreprises voteront plutôt avec Cameron. On a aussi besoin des gens de l’UE, car il n’y a pas assez de Britanniques qualifiés pour toutes les demandes d’emplois, disent encore ministres et entreprises. De fait, dans les boutiques, chez les chauffeurs de bus, dans les musées, j’entends surtout des accents étrangers.
Beaucoup s’inquiètent qu’en cas de Brexit, la jungle de Calais n’atterrisse à Douvres. Le ministre europhobe de la Justice Ian Duncan Smith affirme sans rire que, non, car ça arrange les Français ! Macron vient de le démentir.
Grand gaillard, grand buveur, John “sera au supplice pour se décider”: ouvert, il apprécie la France et son art de vivre, pense aux pauvres hères du Proche-Orient et s’interroge sur la survie du Royaume uni (Gallois, Ecossais, Irlandais). Les Nationalistes écossais, europhiles, menacent en effet d’un nouveau référendum sur l’indépendance. Mais est-ce que  partir ne serait pas mieux pour notre commerce, me demande-t-il?
Bref, plus de spéculations sur l’avenir que de faits avérés. Une opinion très divisée. Mais mon pari perso: les “Rosbifs” voteront oui le 23 juin, car les Tories modérés, le Labour, les libéraux démocrates , les élites culturelles et économiques sont pour. Moi aussi, avec une zone euro renforcée.

= Le”Barde” (alias Shakespeare) fête ses 400 ans

Plus que les autres années s’il se peut,  Shakespeare est joué, célébré dans l’édition et les médias. Il est mort en 1616. Après l’extraordinaire “Kings of War” d’Ivo van Hove plein de furie à Chaillot, nous tombons sous le charme de “As You Like It” (Comme ils vous plaira) au National Theatre. Au début c’est ardu pour moi malgré mon bon anglais, ensuite je m’émerveille, comme tant de générations, de la psychologie des caractères, de la drôlerie, de la poésie des réparties etc. etc. Long live the Bard !shakespeare cartoon
Comme à Broadway, les acteurs anglais peuvent tout jouer, danser, chanter. Nous le voyons ensuite dans la superbe comédie musicale “Guys and Dolls” au Savoy dans le West-End.
Byll Bryson, Américain spirituel et érudit, écrit dans son “Shakespeare” de 2007 (d’ailleurs récemment traduit en français) que ce dernier était bien l’homme de Stratford-upon-Avon dont la biographie est certes méconnue. Le Canard Enchaîné, rendant compte d’un livre de Daniel Bougnoux qui attribue la paternité cachée des pièces du grand William à un lettré italien John Florio, rappelle ce mot de notre humoriste Alphonse Allais : “un inconnu portant le même nom que Shakespeare avait écrit ses oeuvres à la place du vrai !”
 Boris Johnson s’il devait se planter en politique peut, lui, se reconvertir : après le gros succès de son livre sur Churchill, il prépare un bouquin sur Shakespeare.

= Grande exposition Delacroix à la National Gallery

Paris n’a pas prêté ses grandes oeuvres mais on découvre que le peintre romantique a été un maître pour les impressionnistes et les modernes (Cézanne le révérait). Belle pédagogie des panneaux explicatifs, mais pas un seul titre de tableau en français…
L’immense Victoria and Albert expose des parures de pierres précieuses indiennes. Il faudrait une semaine pour voir tout ce musée d’arts décoratifs, estime un gardien. Non merci. Mais je goûte aux Rodin nombreux, avant d’aller m’encanailler au marché de Camden Lock, puces prisées par les Français.

= Modernisme, urbanisme

Du Waterloo Bridge de nuit, le spectacle est unique. Des deux côtés de la Tamise, les gratte-ciels de la City illuminés de rouge et bleu côtoient bellement les chefs d’oeuvre classiques, de Big Ben à la cathédrale Saint Paul. Sans écraser la tradition, les audaces architecturales témoignent (aussi) du dynamisme de l’argent.

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Big Ben depuis Waterloo Bridge

 

Engoncée dans son périphérique, mais hyper-dense, la ville de Paris est 15 fois plus petite que le Grand Londres. Le Grand Paris restera deux fois moins étendu, mais sera équivalent en  population (7 millions) au Greater London unifié, tout en continuité du centre aux banlieues. De 250.000 à 400.000 Français sont venus chercher des opportunités d’emploi et de création dans cette ville où “tout est possible”.

Le spa du cinéphile

Grand adepte des hammams/saunas et piscines praticables et bon marché (comme en Allemagne), j’essaie avec plaisir le Ironmongers Row baths d’Islington. J’ai découvert ces bains turcs à la façade de brique dans Eastern Promises, grâce au film saisissant de David Cronenberg. A poil, à mains nues, Viggo Mortensen, y vient à bout de deux énormes tueurs tchétchènes. On a nettoyé les taches de sang… Le complexe rénové est calme et voluptueux. Les Britanniques ont l’organisation et la propreté faciles, moins affichée que dans mes familières contrées germaniques.

 = Arsenal, mauvaise passe pour Wenger

J’ai vu  deux défaites d’Arsenal dans des pubs d’Islington (nord). Belle maman habite à portée des clameurs de l’Emirates Stadium. Sur les traces de mon fils Olivier, je “supporte” les Gunners. Deux heures avant le match de Barcelone, alerte dans les stations de métros, fermeture de rues, les fans en rouge et blanc convergent vers le stade ou les débits de boisson. Messi frappe deux fois, les esprits se calment. Vacarme deux jours après à Highbury Barn: on vient se soûler entre amis, à la bière, au cognac, au whisky avant le coup d’envoi contre le petit Swansea (vainqueur, c’est la honte). Scott, éméché, me jure son amour de Wenger, des Français, même de l’inconstant Olivier Giroud.
Mais dans la presse et dans les tribunes, Arsène Wenger – le  coach strasbourgeois jusqu’ici inamovible- passe un mauvais quart d’heure. Son équipe, certes privée de l’Espagnol Santiago Cazorla, est en train de laisser échapper le titre.

= Inégalités, austérité

Les inégalités ont augmenté plus vite au Royaume-Uni que sur le continent jusqu’à récemment (d’après l’Office national des statistiques, 14 millions de Britanniques étaient dans ou au bord de la pauvreté ou de l’exclusion sociale en 2011)  en raison de logements encore plus inaccessibles qu’à Paname et de politiques hyper-libérales. Les coupes budgétaires affectent même le NHS, la médecine gratuite, dont tous les Britanniques sont fiers; surchargés, mal payés, les “juniors doctors” ont repris une grève le 10 mars. Il y a encore les accès de  violence, l’alcoolisme des jeunes, les grossesses adolescentes, les colères démagogiques ou non qui jaillissent avec la campagne du Brexit. Ces journaux par millions qui manient l’insulte à la Trump, ignorent toujours que l’Allemagne n’est plus nazie, etc.
En vrac: un rapport de l’Institute for Fiscal studies, estime que malgré la hausse de l’emploi, le nombre des enfants pauvres augmentera d’un million d’ici 2021: il sera de 25,7% ou 3,6 millions. En cause, les coupes sombres drastiques et continues des conservateurs dans les allocations sociales et les crédits d’impôts.
Sur BBC 1, la responsable d’une ONG de Newcastle (Nord) parle de “la famine” croissante des enfants de familles décomposées.
Une enquête de Channel 4 montre que les nouveaux logements sociaux ou “accessibles” (“affordable housing”) sont loin des promesses des autorités. Si les promoteurs ne se plaignent pas, les travailleurs, employés londoniens moyens sont forcés de vivre toujours plus loin ou de partager. Ken Loach en fait un film.
Mais à Chelsea, à Knightsbridge, paradis de luxe des Saoudiens, Russes et autres multimillionaires, je tombe sur des annonces obscènes: locations d’appartements à 1.300 livres (1.700 euros) la semaine, ventes à 6 millions …Les riches et les retraités profitent beaucoup mieux de la croissance. Et bien plus à Londres et dans le Sud de l’Angleterre que dans le Nord appauvri.

= Education, foulard islamique

Ils sont plaisants à l’étage du bus rouge, ces collégiens joyeux en uniformes bleus et gris après l’école. Une dizaine de fillettes pouffent de rire. Certaines ont un hidjab sur la tête. D’autres non. C’est naturel, les Anglais sont moins crispés que nous sur les différences culturelles. Evidemment les niqabs dans la rue me font grincer.
Comme ailleurs la méfiance contre les musulmans augmente. Le ministre de la Défense vient de juger le travailliste Sadiq Khan “inapte” à se présenter à la mairie de Londres, parce que “lié à des extrémistes”. Dans le Guardian, le journaliste Mehdi Hasan pense au contraire que Sadiq Khan serait une chance pour les musulmans modérés et pour le pays.
A propos d’éducation, une étude (Sutton Trust) vient de confirmer les privilèges des nantis dans le système scolaire: les élèves de l’élite éduqués à grand coût dans le privé accèdent sans peine aux grandes universités et aux meilleurs emplois: trois quarts des juges et officiers supérieurs par exemple en sont issus.
Je relève pourtant des leçons de pragmatisme éducatif et de mixité pour la France
 Le secondaire est placé sous le contrôle du ministère de l’Education en Angleterre qui supervise les programmes y compris dans les écoles nombreuses privées et religieuses. Mais, pragmatisme anglais oblige, les chefs d’établissement ont une autonomie certaine, peuvent faire appel à des sponsors. Deux spécialistes – au demeurant critiques – du système éducatif, George et Rahel Smith (noms changés à cause du devoir de réserve des fonctionnaires), relèvent que Londres qui était au plus bas dans les comparatifs entre comtés anglais, est maintenant au sommet: “on a mis de l’argent, on a comparé ce qui marchait ou ne marchait pas dans telle et telle école afin d’améliorer les choses pratiquement”.
Et surprise, me disent-ils, les enfants du Bangladesh des banlieues immigrées de l’East End, qui étaient les moins avancés avec les Pakistanais et les Antillais, sont désormais dans le peloton de tête. On leur a inculqué l’ambition et la confiance, grâce à des enseignants et tuteurs spécialisés, largement issus de l’immigration…
Début mars, les familles ont pu savoir si leurs premiers choix de collège/lycée étaient retenus (notamment par tirage au sort, pas sur dossier). Ils ont été comblés à 84% l’an dernier.  Comme il n’y a pas de carte scolaire ici (ni d’ailleurs de ghettos cités à l’écart des villes), le brassage des classes et origines semble mieux assuré. C’est vrai à Londres, mais pas partout: dans le comté voisin de l’Essex, où ont “fui” nombre de Blancs désormais minoritaires dans la capitale, note Rahel.

 

CONCLUSION: “When a man is tired of London, he is tired of life“, disait l’écrivain Samuel Johnson dès 1777. C’est toujours vrai.
Jean-Michel STOULLIG
mars 2016

 

 

 

 

 

MEXIQUE: chants, violences

Au Mexique avec le choeur de l’Unesco, nous avons perçu, en deux semaines privilégiées, le visage souriant d’un vaste pays émergent, mais dont les tourments (évoqués plus bas) sont évidents.

Si vous me pardonnez ce mauvais pastiche Aragon-Eluard, on pourrait commencer ainsi :

“Certains chantaient d’oreille, d’autres que sur partition

(ou les deux, c’est bien mieux!)

Certains ‘hablaient’ espagnol, d’autres le devinaient,

Tous se sont vus au ciel, dans le soir en-chanté

Avec les Oaxaquains, en chaude communion.

J’écris ton nom Unesco, J’écris ton nom Mexico

 

Générations Oaxaca

mere et fille
Mère et fille en cuisine, Oaxaca

Nous sommes donc une soixantaine d’âges variés à débarquer de Paris à Mexico pour gagner Oaxaca, tranquille et belle cité coloniale du sud. Nous, à savoir choristes et musiciens de l’Unesco et du Conseil de l’Europe, quatre brillants solistes (Jocelyne Lucas, Klara Csordas, Omar Benamara et  Li Chenliang)- sous la houlette pointilleuse de notre chef mexicain Jorge Lozano Corrès.  Il a tenu sa promesse de revenir chanter et jouer dans sa ville d’origine!

Nous jouissons de l’accueil officiel de la municipalité, de la politesse générale. Et surtout de l’énergie vitale et amicale de trois ensembles locaux de jeunes – emmenés par les maestros Pedro Cervantes et Israel Rivera Caña – qui nous ont accompagnés en trois beaux concerts de Mozart, Fauré, Verdi, Puccini, Donizetti, Bizet (Carmen), de chants du cru, comme l’émouvant “Dios nunca muere”, etc.(Les mariachis et marimbas seront en privé).

“Chantons sous la mousson” (variation de Singing in the rain): Vu la force des pluies tropicales du soir, nous avons dû repousser deux fois répétition et concert malgré les bâches sur la place de l’Hôtel de Ville.

Au concert de Santo Domingo (photo RCmultimedios)
Au concert de Santo Domingo (photo RCmultimedios)

Nous étions au sec, gorges et instruments déployés, au Templo de Santo Domingo, une église dominicaine tapissée d’or qu’avait voulue Cortés pour impressionner les Indiens. Le concert religieux de la phalange mexicano-Unesco a été célébré comme un hommage “a la armonía y la paz” (“à l’harmonie et à la paix”) par le journal El Imparcial, citant Jorge Lozano. Sur le parvis de nombreux spectateurs sous ponchos et parapluies ont suivi sur écran géant le Requiem de Fauré et la Messe du couronnement du divin Wolfgang Amadeus, que retransmettaient aussi une télévision locale.Chance, émotion.

Le compositeur Victor martinez
Boeuf avec le compositeur Victor Martinez

Richesses, Pauvreté, Violences

L’énorme richesse culturelle du Mexique saisit tous les visiteurs. Richesse des civilisations précolombiennes (stupeur dans le site majestueux zapotèque de Monte Alban ou dans les musées!) Celle des colonisateurs espagnols, auteurs de massacres et dont la ferveur conquérante de bâtisseurs et “baptiseurs” catholiques a pourtant irrigué le pays depuis cinq siècles.

NB: Dans l’un de nos hôtels, j’ai fait l’expérience d’une pratique héritée des anciens Aztèques, le temascal, présenté comme “un rituel de purification thérapeutique et spirituel”. Dans une petite pièce voûtée, une guide conduit ce bain de vapeur avec plantes diverses sur des roches volcaniques surchauffées. Une de nos musiciennes m’a indiqué pratiquer en France ce “rite chamanique qui aide à surmonter la chaleur, la claustrophobie”.

Retour au quotidien, souvent dur. En donnant de leur temps pour des cours d’interprétation aux jeunes de la Fondation Esperanza azteca de Oaxaca, nos musiciens de l’orchestre ont mesuré leur passion d’apprendre mais aussi de surmonter leurs difficultés. Certains enfants viennent de la rue. Laura Daniel, violoniste, et Judith Godeberghe, alto, confient avoir surpris deux joyeux guitaristes en herbe invités au restaurant, se dire sotto voce: “c’est bien, aujourd’hui je ne devais pas manger, mais j’ai eu deux repas”…

Calle Macedonio Alcala, Oaxaca
Calle Macedonio Alcala, Oaxaca

Mexico, l’immense capitale contrastée, j’ai ensuite suivi à satiété dans les médias les maux trop connus du deuxième pays d’Amérique latine (après le Brésil par la population et l’économie): litanie d’assassinats cruels de policiers ou journalistes par des gangs de narcos (avec cadavres ensanglantés à la Une), enlèvements, tristes statistiques sur les inégalités sociales et les atteintes aux droits ou à la vie des femmes et des enfants, scandales de corruption…

L’intellectuel Jorge Machorro, directeur de la culture à Oaxaca, est pessimiste: “les oligopoles et la corruption sont trop bien établis. Il n’y a plus d’alternative politique, ni à droite ni à gauche”. Jorge compte sur les initiatives locales, comme le réseau des villes et gouvernements locaux (CGLU).

A propos de pauvreté et d’émigration incertaine vers le Nord, une membre de la délégation musicale de l’Unesco, Marie-José Lallart, a fait le point sur un projet local de l’ONG qu’elle dirige, avec l’appui du footballeur Mikaël Sylvestre et de donateurs, “Les Ecoles de l’Espoir”.

Créer une école d’artisanat textile pour 25 adolescents du village de San Miguel del Valle, près de Oaxaca, éviterait, selon Marie-José, que certains de ces jeunes pauvres, surtout des filles, “n’aillent émigrer à Los Angeles, où elles travailleraient dans la clandestinité comme domestiques, prostituées, etc.”

Jean-Michel Stoullig – août 2015

CUBA: espoirs et mojitos avant le retour des Yanquis

Fatigués des restrictions, vite enjoués  malgré tout, les Cubains espèrent – sans trop y croire- un avenir meilleur. En jeu la normalisation diplomatique entre les Etats-Unis d’Obama et le pouvoir castriste. Un sujet qui par hasard me tient à cœur.

Musique entre amis à Trinidad
Musique entre amis à Trinidad

Pour résumer notre huitaine en touristes attentifs à Cuba, petit pays pauvre mais bien plus égalitaire que le Mexique d’où nous arrivions,  j’aurais pu titrer « Une prison (pour les Cubains), un paradis (tropical)”. Mais c’était déjà pris. Dans un texte de voyage pour le New York Times (« A prison, a paradise», 2013), John J.  Sullivan explique que le poids des expatriés cubains en Floride, un Etat indécis électoralement, a figé depuis 1962 le blocus américain dévastateur pour l’économie de Cuba, servant de prétexte à la dictature prolongée des frères Fidel et Raúl Castro. Une dictature certes allégée avec le temps.

C’est en tout cas par hasard que, treize ans plus tard,  j’ai remis les pieds en juillet 2015 sur l’île avec Sheila mon épouse, à l’issue d’un séjour mexicain revigorant avec le chœur et orchestre de l’Unesco.

En effet, en février 2002, j’avais vu  les gros iguanes et les palmiers du sud de Cuba, lorsque, accrédité au Pentagone à Washington pour l’AFP, je fus parmi les premiers journalistes à visiter la base/ prison U.S. de Guantanamo Bay. A voir débarquer les premiers hommes en “scaphandres” orange, masqués, menottés, titubant dans la fournaise soudaine, après vingt-cinq heures de vol enchaînés à la soute depuis l’Afghanistan. Je me souviens de sympathiques officiers geôliers assurant que “les terroristes seraient bien traités puisqu’ils avaient droit au Coran et à la cuisine hallal”…

En juillet 2015 ce n’est plus mon sujet. Pourtant les consommateurs cubains et les investisseurs américains aimeraient bien que le McDonald de l’enclave américaine de Guantanamo ne soit pas le seul fast-food du genre à Cuba. Et les autorités cubaines veulent un jour récupérer cette base navale annexée de facto par les Etats-Unis en 1903.

Arrivée de Mexico et impressions

Après la fraîcheur relative de Mexico (2.200 mètres), c’est la moiteur de juillet  à La Havane. On passe sans bureaucratie excessive les contrôles à l’Aeropuerto internacional José Martí (José Martíl’écrivain et héros indépendantiste célébré à chaque coin de rue par le régime, mais vénéré par tous les Cubains depuis la  fin du XIXe ). Même  baroque hispanique et villes coloniales bariolées, mais sans le substrat des civilisations millénaires du Mexique.

Nous frappe d’emblée le grand mélange visible des couleurs et morphologies : policiers et douaniers blancs, métis, ou noirs, alors qu’au Mexique dominaient indiens et métis méso-américains plus râblés (les Indiens furent éradiqués à Cuba après Christophe Colomb).

Prendre le frais
Couleurs

Je retrouverai un peu partout de belles Cubaines à la peau brune et au nez aquilin à l’espagnole ou des blondes aux cambrures africaines, etc. Des jeunes femmes ou hommes torrides nous en avons peu vus – ayant renoncé aux boites de nuit, la fatigue du voyage et l’âge aidant….

Plaisir des yeux que cette fine mulâtre agitant vainement son éventail  sur la route de Cienfuegos, verte et vide. A l’ombre de flamboyants orange, elle attend seule. Une voiture qui la prendrait en en stop ? une « oua-oua » déglinguée (la guagua ou autobus du cru)?

“Hola amigo”. La familière interpellation est souvent intéressée. C’est pour proposer un taxi à moteur ou à vélo, nous montrer des peintures aux motifs et couleurs attirantes, nous vendre un restaurant, une pension, demander un savon…Proposer son corps parfois.

Cuivrée, proche mais différente, Sheila intrigue comme au Mexique : « ¿De donde eres ? » (tu viens d’où?) Sa réponse « soy de la India », suscite à tout coup  une curiosité amicale.

Après l’espagnol clair et précis des affables Mexicains, quand on finit par deviner les s, b,  mangés comme d’autres consonnes par nos Cubains–la relation devient bien plus facile, plus vraie, le tutoiement quasi-instantané.

CUBA: “Avant que ça change”

A Cuba prisée des Français et des Québécois, la geste révolutionnaire a longtemps séduit notre gauche. En cet été on entend beaucoup plus la langue de Molière ou celle des touristes hispanophones voire le russe que l’anglais des Américains du Nord. Les Canadiens fuient plutôt leur hiver. Les Etats-Uniens ne viennent encore que progressivement faute de vols directs et parce que toutes les interdictions n’ont pas été levées. (En passant j’ai vu à Trinidad une plaque mentionnant Don José  Giroud né en 1781 à Ferney-Voltaire. Un ancien planteur esclavagiste français comme il y eut beaucoup ? Il semble qu’il fut plutôt fondeur de cloches).

Bien des visiteurs européens expliquent vouloir visiter l’île castriste “avant que ça change“. A savoir avant que ne s’installe la mondialisation, avec ses avantages et ses ravages. Les Cubains quant à eux aspirent pourtant à du changement, à une vie meilleure…

Contrairement au reste de l’Amérique latine, on ne voit pas ici de bidonvilles,  ni de SDF, ni de clinquant super-riche. Il n’y a pas de grand banditisme, mais la santé et l’éducation (relativement bonnes) pour tous, nous disent les Cubains plutôt  fiers.

Mais c’est aussi l’austérité quasi-générale. La société rationnée reste largement agraire. Des charrettes à cheval parcourent  les routes peu fréquentées derrière les fameuses bagnoles américaines rafistolées et briquées, puantes comme  les poids-lourds.

A caballo
A caballo

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Toits de Trinidad

Bien sûr, il y a les enclaves pour touristes – comme la belle Trinidad coloniale, une petite Oaxaca bigarrée et pavée, ou bien l’immense plage de Varadero, bondée d’étrangers. Là on a droit trop souvent aux tubes cubains (“quizas, quizas”, “guantanamera”, morceaux de Buena Vista social club) . A côté, on joue et danse pour soi, entre amis, sur la place, dans les séjours vieillots ouverts à la rue de la Vieille Havane surchauffée.

De fait, nous aurons pesté contre bureaucratie,   la difficulté à téléphoner, à acheter des cartes internet/ wi-fi. Pour cela il faut se rendre dans de rares points de vente et faire la queue avec les Cubains.

Au Kawana club de Varadero,  un hôtel d’Etat vétuste aux repas tout compris insipides et aux mojitos en gobelet plastique, pas d’internet et  faut payer à l’avance et en CUC (le peso convertible au taux élevé, voir plus bas) on nous dit: “Pas assez de liquide  ? dommage, nous refusons la carte de crédit, alors prenez le bus pour le seul guichet bancaire automatique du lieu et revenez dans 40 minutes!” Certes il y a aussi des hôtels de luxe en joint venture, mais sur  la merveilleuse plage déserte du matin deux hommes entrent dans l’eau avec leurs filets pour capturer quelques sardines qu’ils comptent vendre bon prix.

Il y a bien eu quelques ouvertures  depuis que Fidel Castro, le chef suprême malade, a officiellement passé les rênes à son frère cadet Raul en 2008: ce dernier a ainsi permis la vente de maisons, les taxis privés, les casas particulares, ces B&B bien tenus qui prolifèrent, remarque Daniel, un chauffeur.

Mais les impôts sont lourds, se procurer des aliments au marché parallèle revient cher. “Les choses vont changer, espérons-le. Il faut des investissements américains, français. Il faut aussi un vrai accès à l’internet pour savoir ce qui se passe dans le monde”, dit-il.

On ne comptera guère pour s’informer sur Granma, organe du Parti communiste cubain, ni sur la radio – qui insiste par exemple à juste titre sur l’insuffisance  de l’offre alimentaire mais sans vraiment incriminer un système  agricole très centralisé et mal en point qui force ce pays luxuriant à importer beaucoup de ses aliments.

La politique du secret favorise les rumeurs (“Fidel aurait une plage privée, voire une marina, pour plonger près de Playa Gijón”, suppute ainsi un local).

En tout cas, j’aurais  aimé l’entendre sur la Place de La Revolución, le grand Fidel barbu, tonner des heures avec brio contre les Impérialistes ! Mais le vieux géant du tiers-monde, qu’on dit “trop grand pour cette petite île”, finit ses jours dans une relative discrétion. En quelque cinq décennies de pouvoir, il aura pu regarder en chien de faïence pas moins de onze présidents des Etats-Unis…

(NB:  le terme de “Lider Maximo” n’est jamais utilisé à Cuba pour désigner Fidel Castro Ruz,  souligne l’ami Claude Régin, ex-correspondant de Reuters et  mon conseiller en affaires cubaines. Ce terme est pourtant utilisé en boucle par la presse française ou italienne).

Ces dernières années, les Castro ont aussi renoué les liens avec l’église catholique et les religions. Les églises sont rouvertes, les baptêmes ne sont plus clandestins. La santería,  une forme de vaudou cubain,  a même pignon sur rue:  à Trinidad, elle a son musée et des adeptes se promènent en blanc immaculé, chapeaux et ombrelles itou.  Musique, danse et libations dans un vestibule havanais pour un “saint” (divinité africaine cachée sous un saint catholique): j’ai  droit à faire une photo et à esquisser quelques pas de danse dans la bonne humeur.

D’abord bougon au volant de sa 405 Peugeot aux centaines de milliers de km, Humberto concède: “Fidel aura été un bon président”, en relevant les acquis du système (santé, éducation, faible criminalité dans ce pays, de fait quadrillé par les polices et les comités de quartier, les Comités de défense de la révolution.)

Pas désagréable, il est vrai de ne plus entendre parler d’Etat Islamique, ni de barons de la drogue.  Le parti unique reste répressif et les intimidations de dissidents continuent.  Mais rien de terroriste dans la “Fruta bomba”, c’est l’autre nom de la papaye !

“Pourtant Fidel a été capricieux”, édictant des interdictions à l’emporte-pièce, regrette Humberto. D’autres évoquent ses lubies nuisibles à l’économie.

Un pays cher

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A 63 ans , je roule toujours

Nous avons de la chance à la Baie des Cochons. Efrain “el Flaco” nous véhicule à bord de sa fière Ford Mercury 1952 de son âge: plus d’un million au compteur, splendide intérieur rouge claquant,  clim’ récente importée à grands frais qui crachote des gouttelettes .

Il se plaint du coût de la vie. “Avant je ne pouvais pas sortir du pays, maintenant c’est autorisé. Mais où irais-je,  je n’ai pas de sous ?”

Ceux qui ont des parents exilés peuvent recevoir des devises ou des articles introuvables ici. Gros progrès,  mais quid des autres ?

Le quotidien est en effet vicié par un système pervers : la double monnaie. Le CUC convertible (on prononce kouk) est imposé aux touristes; ceux des Cubains qui  en obtiennent peuvent acheter des biens de consommation dans des magasins spéciaux ou importer des pièces détachées. Mais le CUC vaut 25 pesos, la monnaie du citoyen lambda, aux faibles salaires. Et il se change à un euro environ.

De fait la destination touristique Cuba n’est pas une des meilleures marché.

Pas de vérité des prix donc. La disparition de la double monnaie sera à l’avenir un casse-tête pour les autorités comme celle, envisagée, de l’antique carnet de rationnement, la “libreta” contre laquelle tout le monde peste. Car le gouvernement voudrait en finir avec les subventions au ravitaillement – établies au nom de l’égalité et de la nutrition universelles, mais qui  coûtent trop cher depuis l’effondrement de l’URSS et de ses subsides.

Nous entendons un leitmotiv: “la libreta ne nous suffit pas pour une semaine”. Elle concerne les aliments de base, comme riz, huile et sel. Mais les produits d’hygiène (dentifrice, savon, détergent), les cigarettes et les gâteaux ont été retirés du carnet et donc peu trouvables, ou au prix fort. Les rations de haricots et de sucre ont même été réduites, note le site Cubania.com.

Après, il faut donc s’approvisionner au prix fort au marché noir. Si les mangues, le café, les fruits sont bon marché et délicieux, çà ne suffit pas!  “Le salaire moyen est de 600 pesos” et une bouteille d’huile en prend une bonne partie, gémit un “taxista”. Officiellement le salaire moyen n’est que de 584 pesos non convertibles, soit 20 dollars. C’est peu, bien que, on l’a vu, l’éducation et  santé soient gratuites et le logement et les transports  soient bon marché (et mal en point).

USA? Espoir et fatalisme

“¡Ojalá !… a ver… no sé … ¿quién sabé ?… ¡se debe de cambiar !» – « Si Dieu le veut, nous verrons bien, je ne sais pas, qui le sait ? il faudra bien que ça change ». Ces mots égrènent les réponses prudentes à mes questions sur les perspectives du rapprochement en cours entre les deux anciens ennemis, le géant nord-américain et la petite Cuba socialiste.

Même un fonctionnaire à l’étranger introduit auprès du pouvoir nous lâche: “On ne peut plus continuer comme ça avec cette dictature. Pas loin d’ici, la Martinique, la Guadeloupe sont développées, pas nous”.

“On verra bien comment ça ira avec les investissements. Sur le plan politique, pour les libertés,  je n’en sais rien”, déclare Miguel. Peinant sur son cyclopousse, il en a vu d’autres. Il a combattu en Angola comme jeune volontaire contre les forces sud-africaines et l’Unita pendant la guerre froide des années 80: “une grande expérience”. Mais il se demande toujours si son ancien commandant, le général Arnaldo Ochoa, ensuite fusillé pour “trafic de drogue”, ne le fut pas en fait pour écarter un rival.

A Varadero, Oscar m’emmène avec son catamaran (20 CUC) avec son jeune fils fan de football et du PSG (une tendance nouvelle chez les jeunes dans ce pays fou de base-ball). Au large je vois à travers mon masque des centaines de poissons bariolés picorer du pain, dans ma main pour les moins timides – c’est le clou du voyage!

Mais Oscar est pessimiste: “Le problème c’est le socialisme. Les salaires sont trop bas. On n’exporte presque rien. Les Américains reviendront-ils si nos hôtels restent mal entretenus?”

Vétéran révolutionnaire chenu avec son chandail et son béret rouges, le directeur du Musée du 28 septembre à La Havane, Pedro Perez Diaz lui répond indirectement:  “nous ferons comme le monde entier en ayant des relations diplomatiques avec Washington. Oui, à la fin du blocus, il y aura plus d’investissements, mais la Révolution va continuer”.

Le chemin sera sans doute long. Le Congrès républicain freine une vraie reprise des relations avec La Havane. Il faudra des années avant que toutes les sanctions américaines ne soient levées et les investisseurs devront surmonter les obstacles des bureaucrates cubains, prévient le magazine The Economist.

Pour l’avenir, regardons sans doute la Chine, ou le Vietnam, devenus capitalistes en conservant un pouvoir autoritaire.

Carambolage Fidel Castro, Chavez, charrettes et bus
Carambolage à Cienfuegos:  charrettes et bus devant Fidel et Chavez

Devant les slogans défraîchis, les librairies consacrées aux seuls héros révolutionnaires Che Guevara, Fidel , Camilo Cienfuegos, voire au Vénézuélien Hugo Chavez, devant les maisons éventrées,  devant les queues partout, je pense à Maputo, à la RDA, à la Bulgarie ou la Hongrie jadis. Mais La Havane, la belle délabrée en rénovation progressive, peut devenir aussi magnifique que Budapest métamorphosée depuis la chute du mur.

Façades rénovées à côté de taudis, La Habana Vieja
Façades rénovées à côté de taudis, La Habana Vieja

Bestiaire final

Pour terminer un petit bestiaire perso: les “golondrinas”, les hirondelles au nom poétique, qui piaillent libres par centaines dans le soir paisible de Viňales; le sauté de crocodile délicieux de Cueva de los Peces encore meilleur que celui de Bulawayo (Zimbabwe) jadis. Ou “lo’ cangrejo’ qui barrent la route côtière”: quèsaco? j’ai pas mon dico. En fait ce sont les gros crabes (cangrejos) qui peuvent traverser par milliers la route côtière et abîmer de leurs pinces les pneumatiques usagés des vieilles américaines. A la Casa Zuleyda, sur la mer des Caraïbes, les crabes nous ont privés de notre habituel mojito du soir: ils avaient bouffé l’indispensable “hierba buena” (menthe).

Jean-Michel STOULLIG – Août 2015

 

 

Le sac rose, politesse et Radio France

 

PARIS – Deux jours chauds d’avril 2015 à Paris

 

– Le danger du sac rose: Politesse 1

Dans le RER E vers Villemomble, bondé. Chic, des places au fond de l rame du haut. Mais un sac rose trône sur un siège. Je demande à la cantonade à qui il appartient, personne ne moufte. Je le pose à côté, Il est bien lourd et esseulé ? je songe à Vigie Pirate. Comme un ressort, un malabar en face de moi, saute et me hurle à la gorge: “connard, tu me manques de respect. Je peux t’envoyer à l’hôpital; je me suis fait tout seul, mais parents sont morts (?). Tu as de la chance que je ne soit pas psychopathe (“bof” pensé-je, par devers moi), je pourrais te planter un couteau”. Je garde le vouvoiement, lui dit qu’il ne m’a pas répondu pour l’origine du sac (il m’aboie “j’étais dans la lune”); je finis, lâchement, mais sagement, par m’excuser. Cheveux bruns, quarantaine, visage fin, il continue menaces et marmonnements indignés. Un plus tard quand il fait hurler du rap de son sac rose, je préfère m’éclipser au prochain arrêt, aussi calme que possible.

Surprise, j’entends alors mon bonhomme m’interpeller dans mon dos: “Monsieur, vous avez oublié votre bouteille d’eau”. “Merci”, lui dis-je.

  • Politesse de classe 2

La politesse ça paie?
La politesse ça paie? Oui dans un restaurant du 11e

Alors, c’est la courtoisie qui nous sauve ? Juste avant, à l’arrêt du bus 72 Maison de la Radio, un marginal alcoolo tient la jambe pendant 10 minutes à un bourgeois blazer, blasé, pour lui annoncer qu’il va marcher jusqu’au Parc Monceau, “Et pourquoi pas vous?” insiste-t-il auprès de notre homme du 16e.  L’autre répond calmement à tout. Notre clodo finit par prendre en congé avec ce compliment: “Monsieur, j’ai apprécié votre correction”.

“C’est Mozart qu’on assassine?”  Politesse 3

Vous disiez correction ? Le lendemain je chante, flatté, avec le choeur de l’Unesco, pour Narendra Modi. Le Premier ministre indien, impressionnant, parle 20 mn sans notes de culture, science et éducation, dans un anglais fort accentué. Mais à son arrivée dans la grande salle, la claque de ses partisans hindous masque presque notre Donizetti. Au final, les organisateurs le laissent partir pendant l’émouvant “choeur des voyageurs” d’Idoménée de Mozart: Claquements, brouhaha et coup de fils soudains de la délégation qui quitte bruyamment la scène de ce palais de la culture en couvrant nos jolies notes…. Au chœur, on a bon do-s. Mi-las, mi ré-signés. C’est vrai que ce bon Modi était pressé; dans la soirée il allait acheter nos Rafale.

  • Grève à Radio France:  notre non-culture du compromis

– Malgré Vigie Pirates, vigiles et hôtesses d’accueil (assez occupées par Nicolas Demorand. en panne d’ascenseur), je me faufile en goguette à Radio France en grève interminable. Un peu mai 68 pour les tracts et affiches, un parfum des grèves à l’AFP. Le bordel des travaux mal finis dans le labyrinthe de la Maison Ronde. Difficile de s’y retrouver sans fil d’Ariane. Je tombe sur l’AG dans le studio 106. Les syndicalistes expliquent, emportent le morceau. D’accord pour limiter les plus hauts salaires (“trois fois celui de ministres”), dénoncer le gouffre du chantier de la réfection. Sinon niet, niet et reconduction du mouvement. Un délégué dit “tous les auditeurs sont derrière nous”. Une autre émet un doute…

Il me démange de clamer publiquement: “mais non, moi, ex-journaliste, toujours syndiqué, je sens beaucoup d’exaspération dans le public. Je suis amoureux de Radio France, qui nous appartient – c’est un service public d’une qualité rare au monde (avec aussi BBC et audiovisuel en Allemagne) je l’ai constaté, il faut à tout prix le maintenir. Mais suis sevré de Culture et France Musique. Oui Mathieu Gallet a fait des conneries, oui il y a des manquements de l’Etat qui est fauché, mais les caisses sont vides. Or on perçoit mal, camarades grévistes, à quels compromis vous êtes prêts”.

Mais je suis un intrus, ne connais pas tout du sujet, alors je la ferme. Défendre la culture, sans que la logique comptable soit absolue bien sûr, veiller aux subventions pérennes, s’inquiéter des contenus certes. Mais le lendemain une consultante externe – NB. elle travaille pour la direction – m’affirme: “ils veulent d’abord la tête de M. Gallet, et après? Je connais bien ce mal français, les abus de certains fonctionnaires protégés: par exemple, des musiciens payés à plein temps pour ne plus jouer jamais, ou pour venir de l’île de Ré, faire deux chroniques hebdo”.

Ile de Ré, mi fa sol, deux orchestres pour une seule salle. Je ne sais plus. Mais chouette, retour quelques jours après de Patrick Cohen sur Inter et Marc Voinchet, gourmand, savant et impertinent sur Culture matin. A suivre.

ALGERIE

IMPRESSIONS ALGEROISES

Mon “reportage” de rare touriste français en Algérie date du printemps 2014, avant donc la création de ce blog. Depuis, Bouteflika a bien été réélu, le monde a empiré, Hervé Gourdel a été assassiné, j’ai vu récemment le beau film “Loin des hommes”, inspiré de Camus,  et j’ai lu Kamel Daoud. Mais, semble-t-il, les choses n’ont guère changé en un an de l’autre côté de notre Méditerranée.

Beauté des villes, des ruines antiques et paysages, mais blocages politiques et sociaux, sources de graves déprimes ? Ce n’est pas la France mais l’Algérie si proche et si différente. Toujours imbriquées, toujours méfiantes, c’est toujours entre elles « Le Grand Malentendu » (livre de Jean-Louis Levet et Mourad Preure).

D’ailleurs – plus qu’en France ? – les gens rencontrés y sont serviables, ouverts. L’humour est souvent là. Plaisir aussi de se retrouver dans un pays toujours largement francophone, derrière l’arabe dialectal et le berbère.

Nous arrivons en pleine inconnue concernant Bouteflika, le président âgé (77 ans), malade et caché, mais que « le système » veut maintenir en place pour les élections du 4 avril, une présidentielle que nos interlocuteurs voient comme une farce. Il sera d’ailleurs bien réélu, même malade et absent Des tensions existent au sommet du régime, comme en témoignent les accusations publiques entre FLN, le principal parti, de hauts militaires et la DRS, la sûreté militaire omniprésente .

Bravant les interdits trop précautionneux du quai d’Orsay nous avons voyagé tranquillement avec notre chauffeur Achour (en renonçant hélas à un oasis du Sahara), mais les diplomates ne peuvent quitter Alger sans autorisation. En 1999, « Boutef » a acheté la paix par une « décennie noire » de guerre entre terroristes islamistes et forces du régime (quelque 150.000 morts) par une amnistie, souvent mal vécue par les victimes, et des subventions, car les djihadistes aiment aussi le commerce. Mais gendarmes et policiers sont partout.

En bas de la Casbah, un panneau de marbre sur une arcade rappelle les horreurs d’un passé récent : « ici a été trouvé égorgé et mutilé Boubetra Réda, caporal-chef à l’armée nationale populaire le 14.10.1995 à 17h martyr du devoir national et de la liberté par les terroristes islamistes ».

Un visiteur ose : “depuis qu’on ne vous égorge plus, les Algériens sont tout à fait charmants”.

= Pourquoi ce compte-rendu impressionniste d’une belle huitaine autour d’Alger et Constantine avec mon épouse Sheila?

Rade d'Alger depuis appartement AFP
Rade d’Alger depuis l’appartement AFP

 

Pour me faire plaisir certes (moi, journaliste en mal d’écriture), mais aussi parce que nous fûmes chanceux d’être conviés par l’amie Béatrice Khadige, chef de l’AFP à Alger et qui va rendre son torchon, épuisée par 3,5 ans de poste dans « un pays quasi-soviétique », où règne la bureaucratie. Or, peu recherché des autorités, et de toute façon hésitant, le touriste étranger, se fait rare en Algérie.

Depuis la décennie noire, Paris impose un visa chichement accordé aux très nombreux demandeurs (près de la Place Audin à Alger, notre serveur à la Brasserie des Facultés, celui-là même qui avait servi François Hollande il y a quelques mois, vient de se voir éconduire sans explications pour la 2e fois et n’ira pas voir son frère). Alger joue la réciprocité: il faut une invitation pour tout visa. Plus facile pour les hommes d’affaires et les Franco-Algériens que pour l’Européen moyen qui n’y songe guère de toute façon.

De notre appartement AFP au 8e étage, dominant la fameuse Grande Poste de style mauresque et le palais du Gouvernement (l’ex Forum), on domine Alger la Blanche et la Méditerranée, le port et la Baie depuis La Marsa jusqu’à Bab El-Oued.

D’emblée une autre plaisante évidence pour moi: le « dépaysement » de voir évoluer toute une société arabo-berbère du plus haut au plus bas de l’échelle, et non plus la minorité trop largement ségréguée des Maghrébins de notre 9-3.

Des images, des contrastes:

L’avenue Didouche Mourad, l’ex-avenue Michelet, c’est un peu les Champs Elysées algérois. De belles boutiques de marque, pâtisseries à la française; les filles en hidjab, le foulard islamique, bien fardées, s’y baladent en riant avec leurs amies “en cheveux”, faisant volontiers la bise au copain de rencontre. Dans le bled ou les quartiers populaires cependant, la grande majorité de femmes est “voilée”, portant aussi le haïk sur le bas du visage pour les plus âgées. Que des hommes dans les cafés, en minorité des barbus en kamis.

A Constantine, sur la majestueuse place centrale aux monuments Art nouveau des Français, des centaines de « hittistes” (littéralement les teneurs de murs), ces jeunes chômeurs désoeuvrés que met en scène à Paris ou chez lui l’humoriste Fellag. Ils font du marché noir pour le dinar (50 % de mieux qu’au cours officiel), de menus commerces. Mais on ne voit pas de mendiants ni de SDF.

Dans les ruelles de la vieille ville, mieux vaut cacher la Rolex (je m’en fous j’ai une Swatch!). J’achète un foulard: le jeune responsable de l’échoppe au français parfait a étudié le droit constitutionnel à la Sorbonne, mais n’a pas trouvé d’autre boulot.

Or la moitié des 37 millions d’Algériens ont moins de vingt ans. C’est les jeunes qui forment les « harragas », les boat-people algériens qui risquent la noyade pour émigrer.

Au souk, on ne marchande guère, et d’ailleurs personne ne va vous harceler pour vendre tapis ou babouches. Forget Tunisia or Morocco ! Un Maroc rival, officiellement honni, mais envié pour ses avancées, le niveau de vie des classes moyennes, le sens du commerce.

En tout cas, presque tout semble venir d’ailleurs, comme la poterie de Sheila qui provient de Tunis, ou le lait, importé en poudre, et en pénurie.

Seuls, nous visitons le magnifique palais ottoman d’Ahmed Bey de Constantine, un héros de la lutte anticoloniale au 19e. En contrebas, sur le Pont suspendu au-dessus des gorges du Rhumel, des montagnes d’immondices s’accrochent aux pentes.

Descendant du musée du Bardo à Alger (antiquités romaines et arts islamiques), les escaliers sont défoncés, la saleté règne aussi sur le parc, où se retrouvent ivrognes et amoureux.

Idem dans la Casbah d’Alger, des bâtisses décrépites s’effondrent, faute d’étais, et la voirie semble absente. “Vous voyez la maison la haut ? C’est là qu’est né Roger Hanin. Il y a quelque temps, il est revenu avec Catherine Deneuve », dit en riant le vendeur d’épices et de safran (venu d’Indonésie et pas bien naturel en fait), qui me prend pour un pied-noir nostalgique. Il ajoute : « Les juifs habitaient ici en bas de la Casbah, mais vous savez pour nous avec les juifs c’est plus çà »…

Casbah d'Alger
Dans la casbah d’Alger

 

Pour moi en tout cas, avec cette première visite en Algérie, il s’agit de combler un manque, en situant de visu des lieux souvent entendus dans ma jeunesse. « Les événements d’Algérie », comme on appelait la guerre, et les discours de De Gaulle dominaient les radios. Et dans mon Midi natal, mon père, avait des amis pieds noirs rapatriés, et lisait Le Méridional, pro-Algérie française comme lui.  Ensuite Papa devint mitterrandien et changea d’avis.

Bien plus tard, en 2010, j’aurais dû participer à la « caravane Camus », préparée avec des artistes et personnalités françaises et algériennes dont Yasmina Khadra et le maire d’Oran. Le périple de manifestations fut annulé in extremis, certains intellectuels proches du pouvoir reprochant à nouveau à Albert C., d’avoir condamné les attentats du FLN et de ne pas avoir milité pour l’indépendance.

Comme lui en tout cas, j’ai été ébloui par Tipaza, la romaine : Tipaza, où « les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierre » (Noces). Camus voit en revanche la mort dans « Le vent à Djemila », ville romaine de l’Est plus rude, que nous avons parcourue sous la neige.

Djemila
Djemila en hiver

 

Pour ses 100 ans, Camus – le Français d’Algérie devenu universel – fait l’objet de bilans algériens, depuis la bonne revue « LivrEsq » jusqu’aux romanciers Salim Bachi et Kamel Daoud. Depuis, ce dernier a frisé le Goncourt avec “L’affaire Meursault”.

Des personnages

Mohammed Abbou, père d’un ami de mon fils Olivier, nous fait prendre dans sa limousine. Dans sa villa du Club des Pins, zone réservée à la nomenklatura, bien gardée, une collection de tableaux et sculptures. Ancien ministre de la Culture et membre du conseil constitutionnel, l’homme est simple, affable, un ami des arts. Venu d’une famille pauvre de l’Ouest, il a passé des doctorats à Montpellier, enseigné à Perpignan, avant de diriger l’université d‘Oran. Son discours est convenu sur les dangers des islamistes « minoritaires » en Algérie comme en Egypte. Ecrivain, il nous dédicace son recueil de beaux poèmes critiques « Amis des muses ».

Dokman, qu’apprécient Abbou et Béatrice, peint des toiles fortes et colorées. Dans son petit appart, force bouteilles de bordeaux pour une partie entre amis, à son retour d’une expo à Cologne. Lamine Dokman, rayonnant colosse, est désabusé par la politique, la situation. Il se console en espérant que « la culture peut sauver des peuples » et souhaite échanger avec des artistes de l’Inde.

Fakia est une des rares femmes psychanalystes d’Algérie. Féministe combative, elle enrage toujours contre le code de la famille (passé en 1984) qui pour complaire aux islamistes fait de la femme une quasi-mineure. Bien des patientes souffrent de la société inégale, les patients s’inquiètent de leur masculinité. D’autant qu’un trop grand nombre jeunes sont frustrés de sexe, faute de logement et à cause du coût des mariages. Elle vient régulièrement respirer à Paris

A 74 ans, Yacine Gougelin, a mal à l’Algérie, l’Algerie actuelle. Ex-«conseiller stratégique du GRPA » spécialiste des hydrocarbures, ce fils d’une famille vieille-France de Dijon, a pris un prénom du cru et la nationalité algérienne, mais parle mal l’arabe. S’il habite un appart d’un quartier populaire, « le Français » dit ne pas avoir eu peur pendant la décennie terroriste. Mais il s’inquiète de l’islam trop basique diffusé dans les mosquées, des projections sur la baisse du prix du gaz et pétrole (déjà), alors que la diversification économique lui semble un mythe (agriculture négligée, tourisme absent).

Le chauffeur de taxi quadragénaire, peine au milieu des voitures neuves désormais trop nombreuses pour la capitale aux millions d’habitants. Surprise, il idéalise la France qu’il connaît un peu par des voyages et la télé piratée: « chez nous, la presse est libre d’écrire, mais c’est du vent, pas comme en France », où Jérôme Cahuzac et le ministre du logement Hervé Gaymard furent forcés à la démission. C’est bien simple, « selon un sondage 90 % des gens préféreraient un retour des Français » – de la France actuelle, pas pour le travail mais pour la justice…. A voir

Mais il résume ce que tous disent : « il n’y a pas de démocratie ici» et la corruption mange tout.

La rente du gaz et du pétrole est en partie confisquée par une clique de généraux et dirigeants. L’ex- ministre du pétrole Chebib Khelil, inculpé de corruption pour des dizaines de millions de dollars, a pu partir aux Etats-Unis l’an dernier.

« Les gens n’ont pas envie de travailler dur, l’Etat pourvoira », nous dit un homme d’affaires français dans l’avion. Au bord de la nouvelle autoroute est-ouest – très utile certes, mais qui a explosé tous les budgets pour enrichir certains, où des tronçons sont déjà défoncés et où on a oublié les stations-service – on peut voir 300 véhicules Renault neufs de sa boite de transports. Ils sont bloqués près de Sétif depuis des mois faute de papiers. Un responsable des Mines a fait connaître la solution : « avec moi les autorisations, ça peut prendre 10 minutes, 10 mois, 10 ans ». A bon entendeur, salut

Mélomane, Mohammed Abbou, lui, fait un rêve : faire jouer la « symphonie du désert » par le chef Amine Kouider et son orchestre devant un théâtre rocheux du Tassili.

Pourra-t-il un jour faire ce festival, et avec moi? Les Algériens connaitront-ils démocratie plus prospérité ? Les Français les aimeront-ils un jour ?

Jean-Michel STOULLIG Printemps 2014

INDE: COCONUTS, FOULES ET TAPIS VERTS

 

 

soir Cochin
Du monde, du mouvement, du bruit…

 

 

L'Inde sereine
… et l’Inde sereine

 

COCONUTS, FOULES ET TAPIS VERTS- DEVELOPPEMENT BOITEUX

L’énergique Premier ministre Narendra Modi (et… Nicolas Anelka presque) en superstar, des millions de voitures neuves souvent bloquées dans la cacophonie de carrefours irrespirables, mais aussi -clichés toujours vrais – la palette incroyable des textiles féminins, les débats sans fin, les odeurs contrastées, le sifflet des oiseaux dans le vert des champs de thé: l’Inde moderne reste complexe et surprenante.

Durant un dixième voyage dans le pays, en novembre 2014, j’ai été doublement privilégié:

– Deux voyageuses aguerries et enthousiastes, deux Indiennes d’Europe, mon épouse Sheila et sa mère Oma-Rachel, m’ont expliqué et traduit. Notamment les cousinages d’une belle-famille étendue.

– Depuis 1978 nous avions visité plusieurs régions du sous-continent, du Cachemire au Tamil Nadu et au Bengale, y compris les métropoles “impossibles” (Bombay/Mumbai Delhi, Madras/Chennai, Calcutta/Kolkata). Or cette-fois nous avons mis cap sur deux perles, le Kerala (KL) familier, luxuriant, un modèle social, à la pointe Sud, et le Rajasthan (RJ), aride et magnifique, parti de loin mais en pleins progrès, au Nord.

Voici donc mes treize récits plus ou moins sérieux: voir TABLE DES MATIERES